La Fonction Vitale Incomprise de la Douleur
24 Feb 2023 2024-11-24 18:20PRESCRIPTION: ANTI-FAIM
Dans un monde parallèle…
Nous sommes en 2030. Les autorités mondiales de la santé viennent d’annoncer une nouvelle épidémie: la COVID-30. Les confinements drastiques instaurés aux quatre coins du globe en réponse à la pandémie ont fini par entraîner l’économie mondiale dans une faillite planétaire. Les chaînes de production et de distribution internationales s’écroulent. Des pénuries alimentaires touchent même les pays les plus développés qui ne peuvent plus compter sur l’importation. La production locale ne parvient pas à fournir à la demande. Les gens sont en détresse. Les épiceries et les banques alimentaires sont dévalisées. L’état d’urgence est déclaré. L’armée est déployée dans les rues pour tenter de calmer les gens et contenir le chaos. Le gouvernement émet des coupons de rationnement pour distribuer le peu de ressources alimentaires accessibles à l’ensemble de la population. C’est du jamais vu.
Les jours passent. Les pénuries alimentaires se poursuivent. Les gens commencent à avoir faim. De plus en plus faim… À court de solutions et face à la menace imminente d’une crise civile majeure, les autorités se tournent d’urgence vers la science pour l’élaboration du solution à la crise et la famine grandissante. Et ENFIN, une solution miracle voit le jour : une pilule qui soulage la faim.
“RASSAZIOL™ le premier médicament de la classe antifaim, prescrits pour soulager la sensation de faim. Bien que le mécanisme d’action ne soit pas encore tout à fait bien compris, le comprimé a pour effet d’augmenter le seuil d’intensité nécessaire pour que le signal de faim soit perçu par le patient, soulageant ce symptôme désagréable. Les études en double-aveugle ont prouvés hors de tout doute l’efficacité thérapeutique de ce nouveau comprimé.”
AMEN. Le gouvernement mondial en coordonne aussitôt la production et en l’espace de quelques jours, des milliards de doses sont distribuées à l’ensemble de la population mondiale. Les médias à travers le monde acclament l’efficacité révolutionnaire du médicament. Une fois de plus, la science moderne répond à l’appel et sauve la situation.
…
Alors qu’en dites-vous?!
Ça ne prend pas un doctorat en pharmaceutique pour comprendre que bloquer notre sensation de faim ne règle aucunement le problème, loin de là. Clairement, ce signal a une fonction cruciale: nous avertir que notre corps a un besoin qui nécessite notre attention. Ce qu’on appelle “faim” c’est de l’information qui nous est vitale. Encodée à même cette sensation est la réponse appropriée au problème, sans même qu’on ait besoin d’y “réfléchir”. C’est instinctif: “Je dois manger. Et je dois manger ÇA.” C’est évidemment une situation extrême et caricaturée pour souligner un point : l’absurdité de s’engourdir à un signal vital comme la faim est d’une évidence sans pareil.
Alors qu’en est-il de la douleur?
Pensez-y, les antidouleurs sont la deuxième classe de médicaments en vente libre la plus consommée à travers le monde, après les remèdes pour le rhume et la toux. Pourquoi lorsqu’il s’agit du signal vital de douleur on perd de vue ce bon sens?
Mon point ici n’est certainement pas de culpabiliser la prise d’anti-douleur. Chacun fait ce qu’il doit pour gérer étant donné ses circonstances. Et parfois c’est pas du tout évident… Ce qui m’importe plutôt c’est d’amener un peu de conscience à ce qu’on prend collectivement pour acquis afin de vous permettre de prendre des décisions plus éclairées vis-à-vis à vos propres douleurs.
La douleur est un sujet complexe et multi-dimensionnel — cet article n’est qu’une brève introduction pour amener un peu de perspective.
D’abord, il faut comprendre la douleur n’est pas “mauvaise” en soi. Au contraire, elle a une fonction primordiale! Si par inadvertance je mets ma main sur un rond de poêle allumé, c’est ce signal de douleur qui génère immédiatement une réaction et mobilise l’entièreté de mon corps pour enlever ma main le plus rapidement possible afin de limiter les dommages. Imaginez ce qui se passerait si j’étais complètement gelé et engourdi, coupé de ce signal. Mon corps ne réagirait tout simplement pas et je me brûlerais gravement.
En s’engourdissant à la douleur, on se coupe d’un signal essentiel, de l’accès à de l’information qui nous est absolument vitale: la capacité de réponse à la situation qui est encryptée à l’intérieur même de la sensation.
Alors je reviens avec ma question: comment se fait-il qu’on ait perdu de vue ce qui est si évident? Comment se fait-il que l’antidouleur soit le 2e médicament le plus consommé à travers le monde alors qu’il est évident à tous que cacher notre douleur ne guérit pas le problème?
Une chose est certaine, si on évite notre douleur à ce point, c’est que visiblement, ressentir notre douleur implique faire face à une situation qui nous est insupportable.
Nos corps ont perdu la capacité de supporter l’intensité de la douleur. On a perdu la résilience interne nécessaire pour la recevoir, la décoder afin d’adresser le problème. À l’essence, le “choix” de se couper de notre douleur témoigne en réalité d’une faiblesse physiologique et bio-mécanique à laisser circuler cette sensation et à recevoir le “message” qu’elle transmet. On sait pas comment la gérer autrement que la faire disparaitre!
APPRENDRE À MIEUX GÉRER LA DOULEUR
Pourtant, c’est possible d’apprendre à soulager sa douleur naturellement.
Généralement lorsqu’on a mal, on se tend. Au fond, c’est simplement parce qu’on a peur et qu’on a perdu confiance en notre corps. On a peur des réactions involontaires de notre corps, et peur de ressentir la douleur et d’être submergé par l’intensité des sensations de notre corps. Le réflexe de tension comprime les vaisseaux et nerfs et nous déconnecte de la douleur et “protège” la zone blessée — mais par le fait même, elle inhibe aussi la réponse de rétablissement innée, isolant la zone blessée du reste du corps et la coupant de sa possibilité de guérir.
Autrement dit, bien que se tendre pallie à notre douleur et nous permet de continuer à fonctionner, ça ne fait qu’aggraver la situation. D’où l’importance de développer la capacité de ressentir l’inconfort, la douleur et les sensations de notre corps sans se tendre: pour permettre au mécanisme de guérison de s’exprimer et de rejoindre la partie blessée isolée. En demeurant présent avec nos sensations inconfortables et douloureuses et en apprenant à relaxer au coeur même de ses sensations, on invite peu à peu notre système nerveux à se renforcer progressivement.
On ne veut toutefois pas surcharger notre système et agresser notre corps. C’est pourquoi notre présence au sein de notre corps est essentielle et garantie que le processus soit thérapeutique et sans danger. On cherche à demeurer totalement présent et à recevoir l’intensité de la sensation sans forcer quoi que ce soit, permettant consciemment à notre corps de relâcher les tensions qui ne sont pas nécessaires et de respirer de lui-même, instinctivement comme il en a besoin.
C’est un processus délicat et crucial qui demande de la guidance et support. Le corps est vivant, et porte beaucoup de traumas dans les profondeurs de son système. Ça prend beaucoup d’attention, de patience et de confiance pour que le corps relaxe, se dépose véritablement, décompense progressivement, et se permette de dénouer les tensions profondes à la source de nos symptômes.
Mais plus on est présent et qu’on accepte de ressentir l’état de notre corps, l’état de la blessure, plus on s’ouvre à recevoir toute l’information contenue dans cette sensation intense qu’on appelle “douleur”. On accède progressivement au savoir inné du corps qui nous éclaire alors sur la véritable cause de notre malaise, d’abord à un niveau physique alors qu’on ressent concrètement les chaines de tensions qui relient les différentes parties de notre corps — mais aussi à un niveau émotionnel, mental, et même existentiel, alors qu’on perçoit toutes les émotions, pensées, états d’esprits, etc. Graduellement et avec la pratique, c’est tout l’univers de notre psyché qui est relié à notre malaise qui nous redevient accessible et nous éclaire alors sur les causalités plus profondes de nos symptômes.
C’est infiniment riche… le corps est une véritable mine d’or insoupçonnée.
Guérir c’est certainement exigeant et confrontant — et en même temps, c’est à mon sens la chose la plus précieuse qu’on puisse entreprendre. Au coeur de nos maux se trouve l’opportunité de se comprendre à un tout autre niveau — notre douleur, nos symptômes, notre vie.
C’est le travail que j’ai à cœur de faciliter, selon les besoins et capacités de chacun.